Chroniques d'experts

Photo : © Mario Francoeur

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Densification : Respectons la capacité limite de la montagne

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Article de fond par Marie-Odile Trépanier, professeure honoraire en urbanisme de l’Université de Montréal, membre du CA des Amis de la montagne et Jean-François Roy, Conseiller en urbanisme, environnement et patrimoine pour Les Amis de la montagne.

La Ville de Montréal a amorcé une grande conversation avec la population dans le but d’élaborer son prochain plan d'urbanisme et de mobilité. Le plan donnera les lignes directrices qui permettront de répondre à de nombreux enjeux urbains L’objectif de densification de la ville soulève des questions quant à la protection de la montagne.

La densification est importante pour la protection des terres agricoles, la lutte contre l’étalement urbain, l’aménagement de milieux de vie accueillants, accessibles et diversifiés. Toutefois, cette approche ne convient pas au Site patrimonial du Mont-Royal qui est un milieu fragile subissant un nombre grandissant de pressions. Pour maintenir son caractère emblématique, la santé de ses milieux naturels et la qualité de ses patrimoines, il faut  plutôt adopter une approche sur mesure permettant de faire des choix d'aménagement en faveur de sa protection. 

La capacité limite, une approche de protection pour le mont Royal  

Devant l'inquiétude de la population face à l'accroissement des pressions de développement immobilier sur le mont Royal, la notion de la capacité limite a émergé au moment de l’élaboration du Plan de protection et de mise en valeur du Mont-Royal en 2009.

Cette expression suggère que le développement sur la montagne a des limites et que la capacité de cette dernière d’accueillir de nouveaux développements est atteinte. Cela implique d’éviter l’ajout de nouvelles constructions, et d’agrandissements, mais aussi d’encadrer les modifications aux bâtiments existants et accessoires, de préserver les aménagements paysagers existants ou historiques et de préserver les composantes du réseau écologique. 

Le dilemme concernant le développement sur le Site patrimonial du Mont-Royal  est bien résumé par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) dans un cahier spécial sur le mont Royal.  : 

«… doit-on, en vertu du constat de cette capacité limite de la montagne à recevoir de nouveaux projets de développement, rejeter tout agrandissement au-delà de l’empreinte actuelle ou des volumes actuels des édifices concernés ou peut-on au contraire permettre à un projet donné de déborder quelque peu du volume des bâtiments existants?» (p. 59)

Si l’on accepte de «déborder quelque peu», à quelle condition? Il faut, comme l'exprime l'Office, «que ce soit compatible avec l’ensemble des régimes de protection» dont la Ville s’est dotée, dans son Plan de protection et de mise en valeur du Mont-Royal puis dans son plan et ses règles d’urbanisme. 

Comment appliquer la notion de  capacité limite dans les règles d’urbanisme?

Le concept de capacité limite est beaucoup plus qu’un énoncé de préoccupation. Il se concrétise dans des mesures précises, selon trois régimes de protection définis en fonction des grandes composantes du territoire du Site patrimonial : les parcs, les ensembles résidentiels et les ensembles institutionnels. Pour que ces mesures aient un réel pouvoir de protection du Site patrimonial, les arrondissements concernés doivent les intégrer à leurs règlements d’urbanisme. Est-ce réalisé? Quel est le bilan de l’efficacité de ces mesures? Doivent-elles être renforcées ou mieux élaborées?


Carte des secteurs d’application des trois régimes de protection du territoire du Site Patrimonial du Mont-Royal. 

Source: Plan de protection et de mise en valeur du Mont-Royal, 2009

 

En milieu résidentiel, l’objectif de la capacité limite est de maintenir l’enveloppe volumétrique caractéristique des bâtiments existants, notamment en limitant les hauteurs et l’implantation au sol, en interdisant de construire ou de remblayer dans certaines zones, en protégeant les arbres, en limitant les superficies de stationnement minéralisées, ou encore en contrôlant l’éclairage.   

Auprès des institutions, l'approche retenue pour assurer le respect de la capacité limite repose sur la planification concertée de l’aménagement.  Chaque institution, en planifiant son avenir et son développement, peut négocier avec la Ville une entente menant à l’adoption de règlements spécifiques ou des dispositions contractuelles particulières. En l’absence d’une telle entente, une institution ne peut pas construire de nouveaux bâtiments. Par exemple, l’Université de Montréal a convenu de limiter les constructions sur la montagne et de céder par bail à long terme une partie de ses terrains pour le parc Tiohtià:ke Otsira'kéhne. 

Quant aux parcs, la protection face au développement est complète, puisque les parcs sont réservés aux milieux naturels et aux activités de plein air. 

Le respect de la capacité limite se traduit donc par la somme de ces trois régimes de protection. Ainsi, la capacité limite implique un respect des bâtiments patrimoniaux et de leurs composantes, des aménagements paysagers patrimoniaux, comme les jardins, les parvis, les entrées, ainsi que des éléments naturels de la montagne, les bois, les falaises, les rochers, les ruisseaux, par exemple. C’est donc toute la couverture végétale et les composantes géologiques, les structures paysagères et la silhouette de la montagne dans la ville qui sont prises en compte.

C’est aussi la perméabilité ville / montagne, via les corridors verts, les promenades urbaines, les accès à la montagne et au fleuve, qui doivent être considérés, surtout en ce qui concerne les propriétés institutionnelles, dont le caractère de service à la population implique une circulation ouverte.  Leur changement de vocation peut mettre en péril cette perméabilité, comme on l’a vu dans le dossier de l’ancien Séminaire de philosophie, où l’ancien escalier et le sentier qui parcourait le site ont été fermés et le terrain clôturé au bénéfice des seuls propriétaires du projet M sur la montagne. Les discussions autour du site de l’ancien Hôpital Royal Victoria traduisent ces soucis de façon grandissante.

Des solutions sur mesure pour le mont Royal

Douze ans après l’adoption du Plan de protection et de mise en valeur du Site patrimonial du Mont-Royal, l’application des différentes mesures prévues pour les trois régimes de protection demeure un enjeu majeur. Il importe plus que jamais de veiller à leur respect et à leur renforcement. De nombreux acteurs sont impliqués par la mise en œuvre des outils réglementaires qui en découlent, dont la Ville de Montréal et les arrondissements. Il faut donc exercer une grande vigilance afin que tous les projets s’inscrivent dans cette logique. 

Le concept de capacité limite est essentiel à la protection et la mise en valeur de la montagne, car il permet une évaluation critique des projets proposés. Il constitue une approche unique pour faciliter les choix éclairés sur le territoire montréalais. Il demeure que le caractère emblématique du Mont-Royal confirme l’importance d’y dédier un chapitre dans le futur plan d'urbanisme et de mobilité pour soutenir sa protection et sa mise en valeur. La capacité limite est un concept porteur qui pourrait aussi s’appliquer, outre aux projets de développement d’habitation, à d’autres enjeux comme l’encadrement des usages dans les milieux naturels.

 

Crédit photo: Jean-Claude Charron

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